BLOGUE

Pelvi Story – Mon vagin et le cancer du sein

Euh, c’est quoi le lien? C’est probablement ce que je me serais dit il y a quelques années. Comment un cancer du sein peut affecter mon vagin? Affecter ma féminité, ma relation avec mon corps, celle de mon partenaire avec mon corps modifié, cicatrisé. Mais mon vagin comme tel, il n’a pas été touché, traité, donc c’est quoi le lien?

Le lien, eh bien, il est immense. Et je l’ai découvert par surprise, par des douleurs et des inconforts qui m’étaient avant inconnus. Voici donc mon histoire.

À 30 ans, en pleine forme et en train d’essayer d’avoir un enfant, ma sexualité est sans tabou. J’ai quelques jouets sexuels que j’utilise en solo ou avec mon partenaire. J’aime la découverte et l’amusement. Puis une bosse à mon sein vient me troubler. Elle est si dure, pas comme mes autres glandes. Je pousse un peu sur le système de santé pour une biopsie et quelques mois après, tout bascule: cancer du sein. Je suis les deux pieds dans le système médical, tout va vite. En moins de 24h, je rencontre mon chirurgien oncologue qui me dit que je vais commencer par la chimiothérapie. Je rencontre mon oncologue, qui me dit que j’ai deux semaines pour prélever mes ovules afin de préserver ma fertilité avant de débuter les traitements. Ma fertilité a 50% de chances de ne pas survivre à la chimiothérapie et ce, malgré la ménopause induite qui tente de la protéger.

Je me pique d’hormones jour après jour, je sens mes ovaires immenses. 17 follicules répondent à l’appel; 12 ovules relâchés; 11, congelés. La longue seringue qui a perforé le fond de mon vagin, de chaque côté de mon col, restera la dernière chose à être entré dans cet orifice pour un long moment. C’était le 31 décembre 2017. L’année 2018 débute le 2 janvier par une injection qui freine toute production d’hormones sexuelles dans mon corps. Le 4 janvier ma première chimiothérapie. J’ai tellement peur des microbes que je n’embrasse même plus passionnément mon amoureux. Je ne pense même pas à avoir du plaisir sexuel, sûrement un effet du stress, de la fatigue et de la ménopause induite. Rien ni personne ne visite mon vagin pour de long mois. Cette zone s’assèche par la ménopause chimique, mais aussi comme toute peau ou muqueuse de mon corps qui se dessèche et s’amincit secondaire à la chimiothérapie. Mon vagin ne fait plus partie de ma vie. Mon pubis a perdu rapidement ses poils et l’absence d’hormone dans mon corps change mon odeur. Je me sens vraiment comme une enfant.

Du côté médical, personne ne semble penser à cette partie de mon corps. Aucun médecin ne m’en parle, pourtant il y a eu de nombreux changements. Certaines connaissances en traitement se confient: elles souffrent de leur vagin elles aussi. Je me considère chanceuse, aucune fissure due à la sécheresse et aucune infection. Juste une sensation de papier sablé si je marche trop vite. On ne s’en parle jamais en personne, des messages souvent gênés, souvent anonymes sur des groupes ou des forums de discussions. Cela montre l’étendue réel des symptômes possibles de cette région intime. On n’en parle pas à nos médecins et ils ne nous en parlent pas non plus.

Puis, j’ai mon opération au sein, ma féminité tente d’y survivre. Je travaille beaucoup sur moi, sur mon amour de moi, mais mon vagin n’est pas revenu dans ma vie encore. Je retrouve mon plaisir d’être une femme lorsque mes cheveux commencent à avoir l’air de quelque chose. Ma coupe «garçonne» fait quand même tourner les têtes! Ouf, je suis encore là, visible. Malgré la ménopause chimique, je suis une femme!

Enfin, mon conjoint et moi retrouvons notre intimité, les bisous et les câlins longs, parfois nus. Mon corps souffre de la radiothérapie, mais il guérit en général de la chimiothérapie qui est terminée depuis quelques mois. J’ai la chance de consulter en psychothérapie à l’hôpital. Mon conjoint et moi, nous finissons par nous retrouver. Puis un soir, les câlins s’enflamment et les caresses se retrouvent autour de ma vulve. Quand tout à coup, à la simple insertion de son doigt, je sens ma peau craquer. Ouch, quelle douleur!

Mais qu’est-ce qui se passe? Je n’en sais rien. Est-ce normal? Ai-je un problème? Je n’avais même pas eu aussi mal lors de ma première fois! Ça coupe (littéralement) l’ambiance, mais pas notre amour, donc on s’endort collés. Lui, triste et surpris de m’avoir ainsi blessée; moi, pleine de questionnements et de doutes.

Le lendemain, je suis curieuse. Dans la douche je redécouvre ma vulve. Mes petites lèvres n’ont plus la même texture, elles sont petites et extrêmement minces, comme rentrées vers l’intérieur. Et que dire de cet intérieur! Je n’avais plus la sensation de papier sablé depuis un moment, donc je pensais que mon vagin était de nouveau normal, mais pas du tout! La muqueuse de mon vagin a une texture bizarre, sèche et non élastique. Je me dis que je dois agrandir cet orifice qui serre mon doigt, car j’ai hâte de refaire l’amour! Alors, pour les jours qui ont suivi, dix minutes par jour, j’insérais l’un de mes jeux du passé, du plus petit au plus grand. Avec beaucoup de lubrifiant et extrêmement lentement, en me détendant. En fait, ça prenait un bon dix minutes pour l’insérer. Et je le gardais en place pour une dizaine de minutes le temps que ma peau s’habitue, se ramollisse. J’en avais les larmes aux yeux. Souvent, je saignais. J’abusais de l’huile de coco pour «hydrater» ma muqueuse. Je vivais ce moment seule, sans en parler à personne, à aucun proche, à aucun spécialiste de la santé. J’étais certaine que j’avais fait quelque chose de mal pendant mon année de traitement, que j’aurais dû hydrater ma muqueuse vaginale comme je le faisais pour ma bouche et mon nez et j’avais honte.

Au bout de plusieurs semaines, mon conjoint et moi avons essayé de nouveau, on a «réussi», il faut dire que sa douceur a facilité les choses. J’ai eu du plaisir, mais j’en ai eu mal pendant plusieurs jours après. Je sentais des plaies inflammées et je saignais. Quand cela a-t-il cessé? Plusieurs mois plus tard, après la fin de la ménopause chimique, après quelques cycles menstruels presque normaux, j’ai un jour fait l’amour sans saigner, sans avoir mal, sans trop y penser. Et ça, c’était une bonne année après la fin de ma chimiothérapie.

Est-ce que j’ai osé en parler à un médecin? Non. Une infirmière? Non. Une amie? Seulement plusieurs mois plus tard. À quel moment quelqu’un m’en a parlé? Beaucoup plus tard (comprendre ici trop tard). Une représentante de traitements vaginaux au laser présentait à la Course à la vie pour laquelle je faisais du bénévolat. Donc deux ans après la fin de ma chimiothérapie. Est-ce que j’assumerai de signer mon nom à ce texte, je ne le sais même pas encore!

Mais si moi qui riais de la sexualité ouvertement avec des amis, moi qui n’avais pas de tabou, moi qui en tant que tutrice en sciences au secondaire en parlais à des ados pleins de questions, moi qui adorais les discussions sur le sujet et qui collectionnais les jouets... Si moi je n’ai même pas su en parler à mon équipe de soignants, si moi je n’ai même pas réussi à demander de l’aide lorsque je souffrais, qui peut le faire?

Je sais maintenant que je ne suis pas la seule. Je sais maintenant qu’il y a des traitements pour cela: consultation avec des spécialistes (rééducation périnéale entre autres), crèmes médicamentées, laser, etc. Je sais que trop de femmes ne parlent pas malgré qu’elles sont terrifiées du fait qu’elles ont l’impression que c’est mort dans leur vagin. Alors, maintenant j’espère qu’en en parlant et en sensibilisant les professionnels de la santé, nous pourrons briser ce tabou.

S’il vous plait pharmaciens, oncologues, médecins de familles, parlez-en pour que vos patientes osent en parler et se confier! Ce n’est pas parce que mon cancer n’était pas sur mon col ou dans mon utérus que cette partie précieuse de mon corps n’a pas souffert le martyr pendant des mois. Ce n’est pas parce que je ne prends pas d’hormonothérapie que tout va bien dans mon vagin. Ce n’est pas parce que cette partie de mon corps n’a pas été impliquée directement dans la chirurgie qu’elle n’est pas meurtrie elle aussi...

 

PARTAGEZ icon1 icon2

INSCRIVEZ-VOUS À L’INFOLETTRE

Recevez nos offres exclusives.